En république centrafricaine, on attend la paix depuis si longtemps qu’il devient difficile d’y croire. Après une longue période d’indifférence des médias, les gros titres parlent désormais de “chaos”, de “pays catastrophe” et même de “risque de génocide”. Là-bas, près de 400 000 personnes ont dû fuir leur maison, dont presque la moitié au cours des deux derniers mois. En mars 2013, Michel Djotodia – un des leaders de la rébellion Seleka- s’autoproclamait président, devenant ainsi le premier chef de l’Etat musulman dans un pays majoritairement chrétien. Depuis, plus en plus d’exactions ont été imputées aux ex-rebelles. Des attaques contre des civils, des écoles et des églises. Les organisations de défense des droits humains rapportent des témoignages d’enlèvements, de meurtres de masse, de viols et de pillages. Pendant ce temps, des milices appelées “anti-balaka” – anti-machettes- constituées de paysans chrétiens, se sont rendues coupables de massacres et de représailles aveugles contre les Musulmans. Des deux côtés, on vit désormais dans la peur. On attend. Comme Mathias, ancien instituteur, l’oreille vissée à sa radio. Il a entendu parler de la résolution en discussion au conseil de sécurité de l’ONU, de la possibilité du déploiement d’une force internationale dans son pays. Depuis 2 mois, il vit avec sa famille sous une des tentes agglutinées autour de l’église de la mission catholique de Bossangoa. Depuis des mois, il attend la paix. Lui, et les milliers d’hommes, de femmes et d’enfants que la peur et la violence ont jetés hors de chez eux. Bossangoa, République centrafricaine, novembre 2013 - © Laeïla Adjovi | En quelques semaines, la mission catholique de Bossangoa, à environ 400 km de la capitale centrafricaine, est devenue un immense camp de déplacés. | Suite aux violences contre les populations chrétiennes imputées à la Seleka - dont les combattants sont presque tous musulmans - près de 40 000 Chrétiens campent à la mission, de peur d’être attaqués dans leur maison. Ils viennent de Bossangoa même ou des villages environnants. | Des armes trouvées dans l’enceinte de la mission ont été confisquées par les troupes de la FOMAC, une force africaine qui tente en vain de contenir la violence dans le pays. | Il n’y a pas de police ni de gendarmerie. La FOMAC tente de prévenir de nouvelles violences, mais ses troupes sont trop peu nombreuses et doivent coopérer tant bien que mal avec les ex-rebelles de la Seleka, aussi censés assurer la sécurité. | L’aide humanitaire est insuffisante. Les Chrétiens de Bossangoa vivent à la mission dans des conditions sanitaires déplorables, partagées par les centaines de déplacés musulmans qui ont fui après des attaques des milices anti-balaka. | André Namkoïse vivait en centre ville, au quartier Sembe, il y a encore quelques semaines. “On ne dort pas. Il y a des fusils et des machettes partout. Je suis d’abord allé dans la brousse pendant dix jours, et puis je suis venu ici. Mais ici on ne peut pas sortir. On ne peut pas aller aux champs. On est bloqués.” | Tout près de la mission, Médecins sans frontière tient un petit hôpital d’une soixantaine de lits. Les médecins tentent de lutter contre la malaria, la malnutrition, et les maladies liées aux mauvaises conditions sanitaires dans lesquelles vivent les déplacés. Le mois dernier il y a aussi eu beaucoup de patients blessés par balle ou arme blanche. | A la mission, chacun tente de cuisiner ce qu’il peut, malgré un criant manque d’eau sur le site. Ce camp de déplacés a des airs de communauté assiégée. Quand les hommes sortent, ils peuvent être battus ou tués par les forces de la Seleka, si ils sont accusés de faire partie des miliciens anti-balaka. | Nina et sa fille Melvina ont fui leur maison il y a plusieurs semaines. Depuis, elles dorment et vivent ici, sous une bâche, à l’entrée de la mission catholique de Bossangoa. | Rita Semia est arrivée depuis un mois avec son mari et ses deux enfants. “Je ne retourne pas chez moi, parce que j’ai peur que la Seleka me tue si je vais là-bas. Ici, on a besoin de nourriture, de couvertures, bâches, de médicaments, et de moustiquaires”. | Jeux d’enfants du côté du marché de la mission. | Bienvenu Feidama et son fils Pascal ( au premier plan). “C’est à cause de la violence qu’on est ici. On a pu amener les machines à coudre et on continue de travailler, pour avoir quelque chose quand même. Mais on ne peut pas sortir de la mission parce que les temps sont chauds.” | De nombreux enfants et adolescents sont parmis les déplacés, échappant ainsi au recrutement forcé d’enfants soldats par certains des groupes armés. | Abigail, 4 ans, vit ici avec sa famille depuis 2 mois. Les violences ont généré une immense population d’enfants déplacés et d’élèves déscolarisés. | Presque tous les bâtiments de la mission, école, séminaire, hangars, ou même une ancienne usine ont été squattés. Dans leur fuite, les gens ont pris tout ce qu’ils pouvaient emporter. | “Tout cela, ce n’est rien. Quand tout sera fini, je veux reprendre mes études, pour ne pas perdre ma vie. Mais d’abord je veux venger mon frère.” Vianney Beorofeï, 20 ans, a fui sa maison. Son frère, membre de l’armée sous l’ancien régime, a été tué par des combattants Seleka. | Malgré les violences, des liens persistent entre communautés chrétienne et musulmane. Ces jeunes filles vivent à l’école Liberté, le site alloué aux déplacés musulmans à Bossangoa. Elles sont venues rendre visite à des amis chrétiens de la mission. | De l’autre côté de la ville, à la mosquée, la prière du vendredi attire de nombreux fidèles, grands et petits. | Plusieurs hommes entrent dans la mosquée pour la prière du vendredi en laissant leurs chaussures dehors mais pas leur kalashnikov. Selon Ismaïl Nafi, imam de Bossangoa, “ il y a beaucoup de souffrance des deux côtés. Beaucoup de gens sont morts. Et pas des militaires, mais des civils. Un grand nombre de Musulmans ont été tués à Bossangoa et dans ses environs.” | Les représailles réciproques se multiplient. Début septembre, le village de Khadija El Hadj Abdou, épouse d’un éleveur peul musulman, a été attaqué par des hommes armés. Khadija a reçu une balle, des coups de machette et a été laissée pour morte. C’est la seule survivante de sa famille. |