‘Les Chemins de Yemoja’ est un projet de livre et de documentaire radio, autour de la migration d’une divinité Ouest-africaine d’une rive à l’autre de l’Atlantique. En même temps qu’il met en images des adeptes de la religion des orishas, du vodun béninois et de la santeria cubaine, ce projet interroge la transmission des identités spirituelles africaines et afro-caribéennes. Avant de devenir Yemaya à Cuba, ‘Yemoja’ vient des mots yoruba « Yeye-Omo-eja » qui signifient la « mère dont les fils sont des poissons ». Cette divinité Yoruba est associée à la puissance de l’océan, à l’abondance et à la patience, à la maternité et la fertilité. Dans la tradition Ewe-Fon, où les divinités sont appelées ‘vodun’, elle correspond à Aflekete, Agbessi ou Mamiwata. Les rites ont voyagé dans les cales de bateaux négriers, aux cotés des Africains déportés pour être mis en esclavage aux Amériques. Les photographies argentiques prises au Bénin, au Nigéria et à Cuba sont mises en dialogue dans des triptyques. L’approche visuelle privilégie le clair obscur pour matérialiser une croyance cardinale de la spiritualité Ifa – l’omniprésence d’un monde invisible. Un monde d’ancêtres qui nous guident et nous soutiennent, à rebours de la vision judéo-chrétienne de ténèbres menaçantes. Yemoja permet de suivre le fil rouge d’une mémoire disloquée dans la violence de la Traite. Finalement, tous les visages de Yemaya/Yemanja/Yemoja expriment la même idée, celle d’un trait d’union africain entre tous les lieux où elle est célébrée. Pour écouter le premier épisode ( en anglais, bientôt traduit en français) de la série documentaire : cliquer ici Photographies argentiques prises entre novembre 2018 et décembre 2020 au Nigéria, au Bénin et à Cuba - © Laeïla Adjovi
| « La spiritualité Ifa est partout ». Omitonade Ifawemimo Egbelade, 30 ans, est l’une des plus jeunes prêtresses de Yemoja de la ville nigériane d’Ibadan. Elle se réjouit que sa foi ait essaimé, grâce à la ferveur des descendants d’esclaves aux Amériques. « Je les remercie tant. Sans eux, les gens de chez nous ne pourraient pas retourner vers leurs racines aujourd’hui. » Ibadan, Nigéria, novembre 2018. © Laeïla Adjovi. // Autel de Yemoja, Ibadan, Nigéria, novembre 2018. © Laeïla Adjovi // « Des dieux noirs avec des masques blancs », disait l’anthropologue français Roger Bastide. Pour duper les missionnaires, les Africains esclavisés à Cuba ont utilisé les saints catholiques comme paravents. Ainsi, cette vierge noire, pièce maitresse de la procession annuelle de Regla, quartier portuaire de la Havane, représente aussi l’ orisha Yemaya. Regla, La Havane, Cuba, septembre 2019. © Laeïla Adjovi. | ... | Esther Oladele, 10 ans, est initiée à l’orisha appelé Obatala. Dans la mythologie yoruba, Obatala, divinité de la sagesse et de la pureté, est marié à Yemoja. Mais ce n’est là que l’un des multiples ‘chemins’ de Yemoja. Les Yoruba (et les Fon) croient en la réincarnation. Ainsi, tout comme les hommes, les orishas auraient eu plusieurs vies, plusieurs “chemins” dont les enseignements sont relatés dans un immense corpus de données scientifiques, botaniques, sociologiques et mythologiques appelé Ifa. Ifa est présent das toute l’Afrique de l’Ouest et dans les Amériques. Ibadan, Nigéria, novembre 2018. © Laeïla Adjovi // Les perles jouent un grand rôle dans la religion des orishas du Nigéria, le vodun béninois, et aussi dans les rites afro-Cubains. Ici, Denandi Yehouessi, prêtresse de Mamiwata porte ses perles avant un rituel à la plage. Ouidah, Bénin, janvier 2019. © Laeïla Adjovi // Une grande tradition d’artisanat de perles a d’ailleurs traversé l’Atlantique. Ici, calebasse et mamelles proéminentes perlées de blanc constituent un autel pour Obatala à Cuba. Regla, Cuba, avril 2019 © Laeïla Adjovi | ... | Cette photo d’archive de Remigio Herrera siège au domicile du conservateur du musée de Regla, Juan Lozano Gomes. Herrera, un esclave libéré, fut un pionnier dans la diffusion de la religion Ifa à Cuba. A leur arrivée, les Africains mis en esclavage devaient prendre le nom de leur ‘propriétaire’. Ils étaient aussi tenus d’oublier leur Dieu et leurs divinités et de pratiquer le catholicisme. La Havane, Cuba, avril 2019. © Laeïla Adjovi // « Omi, soore fun mi », est une prière à l’eau qui accompagne Sidikat Lawal dans tout ce qu’elle fait. Les langues Yoruba et Fon sont encore aujourd’hui présentes à Cuba, dans de nombreux rites religieux d’ascendance africaine. Abeokuta, Nigéria, juillet 2019© Laeïla Adjovi // Une adepte de Yemaya fait une prière à l'eau près d'une rivière qui traverse la capitale cubaine. La Havane, Cuba, avril 2019. © Laeïla Adjovi | Les chemins de Yemoja ©Laeïla Adjovi | « El que no tiene de Congo, tiene de Carabali ». L’adage populaire cubain signifie que « tout le monde à Cuba a un ancêtre africain ou des pratiques d’ascendance africaine, ou quelque chose à voir avec cet héritage. Et ce, même si tu es blanc comme le lait. », explique Evelyn De Dios. Issue d’une famille athée de Cienfuegos, elle s’est initiée depuis plusieurs années à Yemoja, appelée Aflekete dans la Regla Arara. La Havane, Cuba, avril 2019. © Laeïla Adjovi // Le shekere est un objet rituel et un instrument de musique utilisé lors de cérémonies religieuses au Nigéria, au Bénin et à Cuba. La musique a joué un grand rôle dans transmission du patrimoine culturel et cultuel des Africains aux Amériques, malgré l’obligation de pratiquer le catholicisme. Ibadan, Nigéria, novembre 2018. © Laeïla Adjovi // Dede Dekpo est une prêtresse vodun du village de Meko, près de Ouidah. Dans ce hameau habité par des membres des communautés mina et fon, un culte est rendu à une divinité de l’océan appelée Mami Apouké. Les manières de lui rendre hommage et les offrandes pour la satisfaire sont similaires au culte rendu à Mamiwata, Yemoja et Yemaya. Méko, Bénin, janvier 2019. © Laeïla Adjovi | ... | Yannay de las Mercedes Rodriguez Gutierrez est initiée à la forme religieuse née à Cuba du syncrétisme entre le catholicisme espagnole, le vodun béninois, et le spiritisme. Yannay est fille de Yemaya, aussi appelée Aflekete dans la Regla Arara. « Cette sainte représente, ma vie, mon âme, tout. C’est mon ange gardien, sans elle je ne suis rien », explique Yannay avec émotion. A cause du synchétisme, à Cuba, les divinités sont appelées indifféremment ‘vodun’, ou ‘saints’. Matanzas, Cuba, décembre 2020. © Laeïla Adjovi // Une représentation peinte de Mamiwata sur une case de culte vodun à Ouidah, sur la plage de la Porte du non-retour, ce monument dédié à la mémoire des Africains déportés aux Amériques. Ouidah fut l’un des principaux points d’escale de la Traite. Le royaume de Gléhoué (Ouidah) fut absorbé au XVIIIe par le royaume du Danxomè, connu pour sa puissance militaire et sa participation à la Traite négrière, en fournissant des captifs aux Européens qui en faisaient le commerce. Ouidah, Bénin, juin 2019 © Laeïla Adjovi // « Je suis un fils de Yemaya. Elle représente les idéaux de respect. Elle est la mère aimante qui pardonne toujours à ses enfants. Ici, à Cuba, les religions yoruba et arara sont préservées, respectées, et aimées tant par les Blancs que par les Noirs que par les Chinois », explique Francisco Hung Villanueva. Surnommé ‘el Chino’, cet éminent chef religieux est descendant de travailleurs sous contrat amenés de Chine au XIXe siècle, avec un statut proche des Africains mis en esclavage. Il est initié à trois branches des religions afro-cubaines : la Regla de Ocha (yoruba), la Regla Arara (ewe-fon) et la Regla Palo Monte (d’origine kongo). Regla, La Havane, septembre 2019. © Laeïla Adjovi | ... | Cette poupée de Yemaya accompagne Tomasa Hernandez depuis quelques années. Cubaine, descendante d’esclaves yoruba, cette fille de Yemaya soutient que, dans l’enfer des plantations, la préservation de leur spiritualité est ce qui a aidé les Africains mis en esclavage à « sauvegarder leur humanité ». La Havane, Cuba, avril 2019. © Laeïla Adjovi // «Las raises de nosotros estan ahi». (« Nos racines sont là-bas ») dit Tomasa. Le collier de perles de sa mère est un de ses objets préférés. Chaque orisha a ses perles rituelles et ses couleurs – le bleu et le blanc de Yemaya se retrouve aussi de l’autre côté, au Bénin et au Nigéria. La Havane, Cuba, avril 2019. © Laeïla Adjovi // « Dans la spiritualité yoruba, avoir un bon caractère est crucial. ‘Iwapele’ est un concept très important» détaille Omitonade Ifawemimo, prêtresse de Yemoja au Nigéria. ‘Iwa’ signifie caratère, et ‘pele’ veut dire ‘doux’. «Ma religion n’est pas parfaite», et parmi les pratiquants, «il y a les bons et les mauvais », admet Omitonade. Mais elle refuse que sa foi soit réduite à de la sorcellerie, et continue de revendiquer sa part de lumière. Ibadan, Nigéria, novembre 2018. © Laeïla Adjovi | Les chemins de Yemoja ©Laeïla Adjovi |