“Tombouctou sans ses manuscrits, c’est comme un homme sans ses poumons”. Sane Chirfi est l’un des nombreux résidents de Tombouctou à détenir des manuscrits vieux de plusieurs siècles. Ecrits en arabe ou en ajami (la retranscription en caractères arabes de langues africains telles que le wolof, le haoussa, ou le swahili), ils abordent la philosophie, l’histoire, la science, le droit islamique, la résolution des conflits ou la médecine. La plupart viennent de l’époque médiévale où cette ville du Nord Mali était une capitale du savoir, avec une université de plusieurs milliers d’étudiants. Ces trésors de connaissances dont les plus anciens remontent au XIVe siècle font la fierté de centaines familles de l’ancienne « Perle du désert ». Cette immense source de patrimoine écrit de l’Afrique pré-coloniale fera l’objet d’une conférence de l’UNESCO à Bamako en janvier 2015. C’est la première depuis que les manuscrits ont été menacés de destruction par les Islamistes radicaux, lors de leur occupation de Tombouctou en 2012. A ce moment-là, les habitants de la ville s’étaient largement mobilisés pour les défendre. Tombouctou, Mali, novembre 2014 - © Laeïla Adjovi | “Nous sommes la 5e ou 6e génération à les avoir. C'est le seul bien dont nous avons hérité et c’est très important de les garder. On entend dire que les Africains n’ont pas d’Histoire, mais ces manuscrits montrent le contraire, avec des écrits qui sont là depuis des siècles et des siècles.” - Abdulwahid Abderahim Haidara, fondateur d’une bibliothèque privée actuellement en rénovation à Tombouctou. Page de droite : extrait d'un manuscrit dédié à l’astronomie. | “Un chanteur français avait l’habitude de dire : “En France, pas d’essence, pas de coton, mais nous, des idées, on en a.” Et bien, c’est presque la même chose ici. Alors pendant l’occupation, on s’est organisés avec mes enfants et mes proches. On a trouvé un lieu sûr et isolé, et une nuit, on est allés les enterrer là-bas, dans ce lieu que je passe voir de temps en temps.” - Anonyme. Cet homme a laissé des milliers de manuscrits enterrés dans leur cachette, car il craint le retour des djihadistes. Il en a gardé juste quelques-uns pour les étudier, comme celui-ci, sur l’Histoire de la ville. | “Nous sommes la seule bibliothèque qui a réouvert, ici à Tombouctou, en janvier 2014. Nous sommes très fiers de ce patrimoine écrit. Lors de la crise, la bibliothèque était fermée et les manuscrits éparpillés, cachés jalousement quelque part chez chaque membre de la famille. Aujourd’hui, je veux collaborer avec d’autres pour partager ce savoir avec le monde. Il faut que les autres bibliothèques de la ville rouvrent aussi et puissent se remettre au travail.” - Mohamed El Moktar Cisse, fils de l’imam de la mosque de Sankoré, directeur de la bibliothèque Al Aqib. Les techniques de conservations ne permettent pas toujours de préserver les textes ancestraux, comme celui-ci qui traite de théologie. | “Nous avons pris des sacs de voyage et nous avons cachés les manuscrits dedans. On les mettait au fond et au-dessus, on mettait des boubous, parce qu’il y avait un contrôle à la sortie de la ville. J’ai un manuscrit qui a été écrit par un de mes grands-pères sur l’Histoire de notre famille, et celui-là je ne voulais pas l’envoyer à Bamako. Il fallait que je le garde près de moi. Quand on a appris qu’ils allaient rentrer maison par maison, je me suis dit celui-là, je vais le garder sur moi. Même s’ils fouillent ma maison, ils ne le trouveront pas.” - Abdulhamin Kunta, fondateur d’une bibliothèque en rénovation. La plupart de ses 9 000 manuscrits sont à Bamako, exfiltrés lors de l’occupation par un réseau crée par l’association SAVAMA. | “Pour nous, les manuscrits, c’est comme de l’or. Donc quand la crise est arrivée, on les a amenés à Bamako pour les cacher. Sinon, ils les auraient brûlés. On en a gardés certains parce qu’on travaille avec. Il y a des manuscrits, si tu les lis, ça te donne du bonheur, de la chance, et ça ouvre ton esprit. Nous voulons que les jeunes garçons et filles connaissent tout ça. Ca peut aider à éduquer tout le monde. Quand on les a amenés à Bamako, on pensait qu’ils reviendraient vite. Mais là, ils ne sont toujours pas de retour. On veut qu’ils reviennent. Ces manuscrits doivent rester avec le peuple de Tombouctou. Ils protègent la ville et contiennent certains secrets.” - Dramane Mouleye Haidara, fondateur de la bibliothèque Sidi Zeyane. | “Ces manuscrits traitent du Coran, de sciences coraniques, mais aussi de médecine, d’Histoire, d’arithmétique, de géographie, bref de tous les champs du savoir. Il est temps qu’on commence à les exploiter. Il y a beaucoup de domaines où les manuscrits pourraient apporter leurs contributions. C’est pour nous l’occasion de réécrire cette Histoire de l’Afrique, qui a été écrite par des étrangers. Si on arrive à réécrire cette histoire, on a des chances de redresser beaucoup de choses.” - Sane Chirfi Alpha, détenteur de 3 000 manuscrits. Membre de l’association SAVAMA, et de la commission de réhabilitation des bibliothèques de Tombouctou. |