Mon nom est Malaïka Dotou Sankofa. J’ignore depuis quand je suis bloquée ici. On m’a dit que que c’était pour mon bien. De ne pas tenter de m’échapper. Que les cieux seraient terribles, tempête, orage et nuit. Alors je suis restée. Mais depuis quelques temps, je m’autorise à rêver.
Mon nom est Malaïka. Je n’ai pas de nombril, je suis mon propre centre, je ne cherche pas à être celui du monde. On me demande d’évoluer, de me développer. Décollage. Emergence. Croissance. Le tout sans sortir du cadre. Chaque jour mâchonner des concepts vides, avec banania, pastèque et poulet grillé. Du coup, j’ai entamé une grève de la faim. Dans mon ventre vide, c’est la révolution que j’entends gargouiller.
Mon nom est Dotou. Ce vieux costume terne, c’est le seul que j’ai le droit de porter. Le seul uniforme impossible à refuter. Heureusement, les coutures craquent. La déchirure est proche. J’ai appris à coudre. Je n’ai plus peur de devoir rapiécer.
Mon nom est Sankofa. Je ne suis plus aphone, je ne suis plus illettrée. En cachot, en cachette, j’ai su apprivoiser le verbe. Je maîtrise les lettres, mais je respecte l’oralité. Je sais voir au travers les ratures des livres d’histoires. Je connais les machines à écrire pleines de barbelés. Désormais, plus personne ne pourra éteindre mes Lumières. Je danserai à tire-d’aile dans les ruines du monde d’hier, sur les tombes des pillards et les cadavres de leurs clichés.
On m’appelle Malaïka Dotou Sankofa.
Laeïla Adjovi
Série récompensée en mai 2018 par le Grand prix Léopold Sédar Senghor, lors de la 13e Biennale d’art contemporain de Dakar.
Prise de vue argentique. Octobre 2016 – Ancien palais de justice du Cap Manuel, Dakar, Sénégal © Laeïla Adjovi/ Loïc Hoquet
Modèle – Marie Agnès Gomis
Structure métallique des ailes – Bassirou Wade ( Bas design)
Habilleuse – Corinne Lecomte
Assistant lumière – Vincent Bloch